il ne s’agit pas d’expliquer, il s’agit de sentir, de ressentir

Alain Bresson est peu loquace sur son travail.
Ou bien il s'embarque et ne s'arrête plus ! mais au premier détour d'une phrase il a pris un chemin de traverse, il est parti ailleurs, mais pas où vous vouliez l'emmener.

Vous le rencontrerez peut-être dans la forêt, il marche entre les arbres. Il marche le regard aux aguets. Il observe, il traque la branche, la forme, la vie –- traces de vie qui dénonceront justement les atteintes à la vie et la sécheresse d'un monde qui n'hésite pas à détruire au nom de la consommation.

La sécheresse, il en parle quand il crée son « colporteur d'eau » : petits sacs devenus pierres précieuses et livrés avec parcimonie - par quel sombre dictateur, à quels rares élus ?

Le monde animalier qu'il a créé est bien particulier. Arche de Noë fantastique où chacun se serait approprié le meilleur de l'autre. Ailes d'oiseaux, plumes d'or, pattes humaines, dans ce marché boîte à trésor, tout est mélangé. Il faut fouiller, il faut chercher.
A ce jeu les poissons sont rois. Trouver pour nager plus haut, pour avancer plus loin, trouver pour dépasser sa condition première devenue étriquée, devenue prison parce que trop normée. Pourquoi se contenter de l'eau ?
Ou bien est-ce parce que l'eau est polluée qu'il faut fuir ?
Mais l'envol ne se fait pas sans sacrifice. Arborer des ailes, pattes ou plumes fussent-elles d'or, c'est aussi s'exclure et devenir mutant.
Alors les regards de la foule condamnent. Est-ce cette douleur que leurs bouches déformées nous livrent ?

Si le travail d'Alain Bresson est un cri d'alerte, c'est aussi un message d'espoir : Souvent les prisonniers se sont eux-mêmes ligotés, tels ces VIP qui se sont desséchés à force de s'exposer aux feux de la rampe, tels ces corps allongés "station balnéaire" qui se sont engrillagés et grillés au soleil des miroirs aux alouettes.

Les autres réagissent et agissent. Ils se regroupent. Est-ce à dire que la solution sera collective ou ne sera pas ? Les filets mordus sont pris par des poissons "filets pris aux poissons" qui ne lâcheront pas prise ! Les poissons des "Séchoirs à poissons" ou "Assemblée en mosaïque" nous transportent dans ces pays où la nourriture est encore apparente. En fait, la mort ici révèle la vie, est source de vie dans ces cuisines trop souvent vidées, aseptisées. En perdant leurs parfums, elles ont aussi perdu leurs palabres.

Les "chaînon manquant" font face et avancent.
Leur rencontre n'est pas anodine.
On est d'abord étonné. On reste en retrait. On hésite.
Où vont-ils ?
Horde de survivants dans un monde hostile. Leurs yeux crevés nous regardent et interrogent notre conscience. Ils ont l'énergie des désespérés qui luttent pour la survie, la fierté des humbles qui ne cèdent pas.
Décharnés, mutilés, leur route pourtant se trace de toute la force de leur volonté d'exister. On est dérangé, on est bousculé.

Le « bombardier » se veut lourd et menaçant et il l'est. De son envergure de géant, il plane, sombre malgré ses ailes de givre. Mais sous son masque vénitien, son œil est tendre, quêtant une dernière attention. Et cette bombe qu'il porte n'est autre qu'une grosse bulle d'eau claire qu'il offre à notre soif.

D'autres « poissons ailés » prennent leur envol et invitent à quitter la condition actuelle pour des cieux plus hospitaliers. Leurs couleurs flamboyantes sont autant de feux d'artifices, éclats des carcasses opprimées dans leur ultime rébellion mais aussi éclats de rire. Car l'humour pare ces monstres morbides et pourtant sympathiques, comme la pirouette du clown avant sa sortie de scène. D'ailleurs, un « maréoplane » hallucinant attend les voyageurs chercheurs de rêves.

Ainsi l'univers d'Alain Bresson est prometteur si l'on sait en recueillir les lumières.
C'est un manifeste où les pigments de l'âme pourraient bien suffire à réchauffer le monde actuel.
Il faudrait seulement le vouloir, le vouloir de toutes ses forces, car il faut une vraie force pour qu'au jeu de massacre, les massacrés ne perdent pas courage. C'est de cette lutte dont il s'agit dans cette oeuvre, assurément.

Mais pourquoi des poissons ?
Parce qu'au départ, il était question d'exprimer le mouvement alors que rien, justement dans le corps d'un poisson fixé dans la sculpture, ne peut traduire son mouvement. Défi ? Sûrement.
Alors leurs corps se sont déformés, leurs yeux se sont creusés et ils se sont mis à bouger.
Et si leurs mouvements n'étaient pas une affaire de muscles mais plutôt une affaire de pensée et d'imagination ?

Et si ces poissons n'étaient pas seulement des poissons ?

Chantal Artaud

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