sur les ailes du délire animal

Marie-Guy Baron, Le Figaro, 30 mai 2003

 

A priori charmant, le thème du bestiaire peut se révéler dérangeant. Chez les artistes de « Zoo Exquis » il nous détache des réminiscences de l’enfance pour nous entraîner dans leur imaginaire d’une inquiétante séduction.

Ce parcours printanier à travers « Champs libres » qui, à l’initiative de la région Champagne-Ardenne, associe des œuvres d’aujourd’hui à des sites singuliers du patrimoine, a choisi cette année un sujet porteur d’interrogation. Surtout quand l’allégorie est mariée avec la force de Rebeyrolle, Dietman, Aillaud, Niki de Saint-Phalle et Olivier. Des créateurs moins renommés comme Sylvia Lacaisse, Patrice Alexandre, John Martini et Alain Bresson ne sont pas en reste.

Avec sa tranquille ténacité, Marie-Laure Hergibo, commissaire de l’exposition, ménage au plus large public un accès à des artistes d’aujourd’hui. Sa manifestation associe le charme des différents lieux, toujours en résonance avec les œuvres exposées et, dans chacun d’eux, la subtile cohabitation d’une figure reconnue avec un plus jeune talent à découvrir.

Exception faite de Olivier O. Olivier, trônant seul au château de Sedan et du fameux naturaliste Paul Rebeyrolle, unique occupant en majesté du Camac (Centre d’Art Marnay Art Centre), à la fois résidence d’artistes et « labo » de recherche aménagé dans un prieuré du XVIIe siècle.


De chair et de sang dans leurs couleurs et leurs matériaux sauvages, ses toiles violemment charnelles triturent la terre, le bois, l’écorce, la mousse, les plumes et le grillage, pour dénoncer l’injustice de l’homme à travers le sanglier insoumis, le chien prisonnier ou le poulet égorgé. Marie-Laure Hergibo voulait « depuis longtemps les exposer ». C’est à partir de Rebeyrolle qu’elle a conçu cette édition de « Champs libres » consacrée à l’animal qui ménage des révélations.

L’une des plus fascinantes, sous la magnifique halle XVIIIe des Riceys vient de Patrice Alexandre qui crée en Champagne et enseigne à Paris. Sous ses doigts, la terre locale, pétrie en sculptures de faïence, dissèque l’homme à vif, dans sa chair, ses organes, sa carcasse, son animalité, sa mémoire, sa condition. Son bestiaire anthropophage anoblit la bête de ferme et affuble le poilu de 14-18 d’un groin de porc. Un travail en accord avec celui, spectaculaire, de Sylvia Lacaisse. Cette voyageuse, grande brasseuse de cultures, accumule une multitude de têtes de piranhas formolés et enrobés de résine qu’elle ordonne, par séries, en réalisations symboliques. Ses drapeaux, cercueils, chemin de croix, dégageant un sentiment de répulsion attraction envoûtant.

Dans le même lieu, voisine l’œuvre pleine d’ironie et de dérision de l’artiste d’origine suédoise Erik Dietman, disparu l’an dernier. Raffinée sous l’apparence massive de certaines pièces et l’aspect hétéroclite de ses objets « ratés » réarticulés, elle livre avec verve un bestiaire miroir de la vanité humaine.

La rencontre la plus harmonieuse se tient au château du Grand Jardin de Joinville en Haute-Marne. D’abord dans le divin jardin Renaissance, qui accueille les poissons d’Alain Bresson. En groupe, ils frétillent d’inspiration au milieu de cette nature ordonnée.

Fabriquées de branches aériennes tachetées à la feuille d’or, de céramique colorée et de caoutchouc, ces délicates carcasses ne relèvent pas de la mort mais de la vie que leur auteur interroge avec émotion. Par exemple sous le titre « le chaînon manquant » en attribuant des pattes de héron aux poissons. Quant à ses chats de terre cuite, ils animent ce décor de leur sensualité.


Changement de ton à l’intérieur de cette demeure des plaisirs et des fêtes où s’expose une tragédie. Sous la poétique de son pinceau, les animaux de Gilles Aillaud, l’un des fondateurs de la « Figuration narrative », racontent leur aliénation par l’esclavage. Indolent hippopotame derrière les grilles d’une prison, lions affalés, tristes singes des zoos, porcs-épics aux prises avec une tuyauterie évoquent ici l’autodestruction humaine.

La réconciliation entre l’homme et la bête est apporté à l’église de Pontgivart ) Auménancourt, par deux bestiaires. Celui éclatant de couleurs de Niki de Saint-Phalle ; sa féérie nous ramène à notre imaginaire façonné par les animaux légendaires de la mythologie. Et celui aux formes épurées de John Martini ; l’alchimiste américain qui, avec son chalumeau, fait surgir de plaques de métal un merveilleux, mi-animal mi-machine, ramené à l’essentiel.

Le parcours s’achève par le frisson de l’énigme. De l’imposante forteresse de Sedan, Olivier O. Olivier nous emporte dans un monde, fantastique et absurde au bord de la catastrophe. Où le lion à buste féminin, le cheval à tête d’homme, les dinosaures envahissant les rues de Montparnasse et les tortues équilibristes trahissent nos angoisses. Non sans humour chez ce cofondateur du mouvement « Panique » habile à provoquer la confusion pour s’échapper sur les ailes du délire.

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